Prise en charge ostéopathique de la femme après accouchement : Un enjeu de santé publique

Thierry LEBOURSIER, ostéopathe DO MRO (F Br), co-fondateur d’OSTEONAT (formation en ostéopathie périnatale)

Responsable d’enseignement au DU d’ostéopathie périnatale(Paris VII)

Mail : thierry.leboursier@gmail.com

L’ostéopathie périnatale s’est développée en France depuis 20 ans et particulièrement ces dernières années répondant à une situation particulière : la grossesse et l’accouchement sont des événements physiologiques de la vie de la femme (la médicalisation de ces événements n’a réellement débuté en France que dans les années 1950) mais des événements générateurs de risques pour la santé de la mère.

Le recours à l’ostéopathie est de plus en plus fréquent pour la femme enceinte et le nouveau-né mais plus exceptionnel pour la femme après accouchement. Pourtant l’observation clinique montre que, contrairement à la femme enceinte ou au nouveau-né qui peuvent souvent évoluer sans le recours au traitement ostéopathique, toutes les femmes examinées dans les semaines suivant un accouchement justifient d’une intervention ostéopathique éclairée.

L’ostéopathie est conceptuellement une médecine alternative de terrain pouvant intervenir de manière symptomatique (et non l’inverse, il est utile de le rappeler ici). Dans le cadre des conséquences de grossesse et d’accouchement, le praticien devra se préoccuper autant des déséquilibres posturaux que des symptômes de la zone pelvienne.

De nombreux symptômes peuvent persister dans les semaines et les mois suivant l’accouchement (la phase post-partum inclue les 42 jours après l’accouchement) : les troubles de la statique lombo-pelvienne générateurs notamment d’incontinence urinaire d’effort (IUE) et/ou de prolapsus, de pesanteur pelvienne, et de dyspareunies. Les différentes études de la littérature retrouvent la parité comme le principal facteur de risque de prolapsus  . Chez les patientes nullipares, Swift et al. trouvent 27,1 % de stade 0, 58,3 % de stade I et 14,6 % de stade II (1) . Chez des patientes ayant accouché entre une et trois fois, ils trouvent 5 % de stade 0, 47,0 % de stade I, 45,8 % de stade II et 2,2 % de stade III. (1) Le prolapsus concerne 50 % des femmes entre 50 et 59 ans.

L’IUE est présente dans  43,7 % des grossesses avec un âge médian d’apparition des symptômes à 30 SA et 14,6 % après l’accouchement (à 3 mois). 20 à 30% des femmes présentent une incontinence urinaire d’effort dans le post-partum et cette incontinence persistera à distance chez 10 % d’entre elles (2). Dans d’autre cas, les lésions n’apparaîtront que plus tard touchant 46% des femmes de plus de 50 ans malgré  l’avènement de la rééducation périnéale dans les années 70,   Durant toute sa vie, une femme a un risque de 11 % d’être opérée d’un trouble de la statique pelvienne (3)

Ceci signifie que la plupart des femmes asymptomatiques 90 jours après l’accouchement développeront néanmoins par la suite des pathologies liées aux troubles de la statique pelvienne et que le traitement limité à la récupération musculaire du périnée est utile mais notoirement insuffisant. Toute difficulté de récupération du périnée est une indication majeure de consultation ostéopathique.

L’approche ostéopathique devra donc prendre en compte cet aspect local dans le cadre d’une prise en charge globale systématique et systémique.

L’élément majeur de la grossesse sur le plan de la biomécanique ostéo-articulaire et de la dynamique des fluides est la modification de l’équilibre contenant/ contenu, progressif pendant la grossesse et très rapide au moment de l’accouchement. Ce rapport contenant/contenu, garant de la tenségrité est fondamental dans l’équilibre statique. Sa variation brutale lors de l’accouchement affecte tous les axes fonctionnels du corps :

  • Le système d’articulation fascial (péritoine /fascia endothoracique) induit une tension mécanique de la charnière cervico-dorsale susceptible de provoquer à moyen et long terme des cervico-dorsalgies et des névralgies cervico-brachiales.
  • L’unité fonctionnelle bassin ostéo-ligamentaire-obturateurs -piriformes -plancher périnéal, les plans de glissement viscéraux entre les organes du petit bassin et les lames sacro-recto-genito-vésico-pubiennes auxquels on attachera la plus grande attention compte tenu de leurs incidences sur la statique pelvienne (QS)
  • Le système diaphragmatique (diaphragme pelvien, diaphragme thoraco abdominal, orifice supérieur du thorax (OST), charnière occiput-C1, diaphragme crânien( tente du cervelet) L’ensemble de ces diaphragmes subissent un véritable « plombage » vertical et une perte de synchronisme à l’origine d’une litanie de troubles fonctionnels bien connue des ex parturientes : troubles de la statique pelvienne déjà évoqués, troubles du transit, douleurs au niveau des points de changements de courbures vertébrales, dépression post partum, céphalées (39 % des accouchées) (4)
  • L’axe cranio-sacré : la dysfonction en sacrum bas antérieur liée à la laxité ligamentaire de fin de grossesse, à la position et aux efforts d’accouchement et à l’hypo- pression abdominale entraine une fixation occipitale corrélée, entre autre, aux céphalées congestives et aux troubles du sommeil.

L’examen ostéopathique se doit donc d’être particulièrement attentif à l’ensemble de ces phénomènes, inhérents à toute maternité, mais souvent délétères à terme et toujours à l’origine d’une profonde modification de la physiologie de la femme. La connaissance poussée de tous les facteurs biomécaniques, hormonaux, hémodynamiques de la grossesse, un choix judicieux de la méthodologie et des techniques de traitement et une étroite collaboration avec l’obstétricien et la sage -femme  sont les éléments-clés d’une récupération satisfaisante de la patiente.

(1) Swift S.E. The distribution of pelvic organ support in a population of female subjects seen for routine gynecologic health care. Am J Obstet Gynecol 2000;183:277-285.

Nygaard I., Bradley C., Brandt D. Pelvic organ prolapse in older women: prevalence and risk factors. Obstet Gynecol 2004;104:489-497.

Tegerstedt G., Maehle-Schmidt M., Nyrén O., Hammarström M. Prevalence of symptomatic pelvic organ prolapse in a Swedish population. Int Urogynecol J Pelvic Floor Dysfunct 2005;16:497-503.

(2) Nygaard I., Barber M.D., Burgio K.L., Kenton K., Meikle S., Brody D.J. Prevalence of pelvic floor disorders in US women. JAMA 2008;300:1311-1316.

Brown J.S., et al. 2000. Hysterectomy and urinary incontinence : a systematic review. Lancet 356 : 535-539

(3)(Olsen, A.L., V.J. Smith, J.O. Bergstrom, et al., Epidemiology of

surgically managed organ prolapse and urinary incontinence. Obstet Gynecol, 1997 ; 89: 501-6)

(4)Goldszmidt E, Kern R, Chaput A, MacArthur A. The incidence and etiology of postpartum headaches: A prospective cohort study. Can. J Anesth 2005;52:971–7.

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